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jeudi 5 avril 2018

Made in DSM

Psychiatrie et gestion in-humaine de la normalisation.
                                                         Récemment, à nouveau, un représentant du monde de la psychologie et de la psychiatrie se manifestait pour remettre en question ce qu'est devenue la gestion médicamenteuse de certaines pathologies lourdes,au coeur et en dehors de l'institution.
   C'est aux dépends du contact et du suivi individuels que se sont imposées peu à peu des pratiques où la chimie est devenue reine, pour le plus grand profit des firmes qui en font la promotion, souvent de la manière la plus discutable. (*)
     C'est la médicalisation de l’expérience humaine qui fait problème. Pommier n'est pas le premier à dénoncer cette tendance lourde, venue largement des USA, où la spécificité de la maladie mentale et la relation au "malade", dans son histoire propre, se trouvent marginalisées, voire ignorée.
     Le DSM est devenue la bible américaine de la santé mentale, de plus en plus suivie dans d'autres pays
 ...Le DSM établit une liste de « troubles » manifestes sans tenir compte de ce qui les détermine : les voici détachés de leur histoire et des circonstances de leur éclosion. Quelle autre branche de la médecine accepterait qu’un praticien s’aventure à diagnostiquer une maladie d’après un seul symptôme baptisé « trouble » ? En se contentant de décrire des dysfonctionnements, le DSM ne donne de la souffrance psychique que des clichés superficiels. Mais sa classification prolifère...
   Et des secteurs  entiers de troubles psychiques, souvent passagers et ne relevant pas de la psychiatrie proprement dite, s'y trouvent consignés, avec les traitements appropriés.
    Bref, on assiste de plus en plus à une  psychiatriasation de l'existence, avec ses excès et ses dérives, dans le cadre d'une normalisation discutable. Certains, aux USA, s'en émeuvent.
     Comme le montre Olivier Appaix, s'ouvre ainsi un florissant marché des « désordres psychologiques 
        ... Cerescan satisfait aux demandes croissantes d’une société américaine qui semble de plus en plus mal supporter les signes de déviance. L’entreprise affirme qu’un Américain sur sept âgé de 18 à 54 ans souffre d’un « “désordre” ou “trouble” pathologique lié à l’angoisse », soit dix-neuf millions de personnes (3). Un marché pour lequel elle voit un brillant avenir : CereScan compte ouvrir vingt nouveaux centres à travers les Etats-Unis. Avant de partir à la conquête des cerveaux du reste du monde ?  Les normes qui définissent le comportement attendu ne sont pas clairement établies, mais les critères de diagnostic des déviances ou des troubles considérés comme pathologiques, tel le « déficit d’attention », sont, eux, très précisément énoncés et classés par le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM).Référence absolue des praticiens aux Etats-Unis — et de plus en plus ailleurs dans le monde —, ce manuel leur permet d’identifier les « troubles pathologiques » à des âges de plus en plus précoces ... Aux Etats-Unis, depuis le début des années 2000, des « troubles bipolaires » ont été diagnostiqués chez un million d’enfants. D’un peu moins de 16 000 en 1992, le nombre d’autistes chez les 6-22 ans est ainsi passé à 293 000 en 2008, et même à 338 000 si on inclut les enfants de 3 à 6 ans — une catégorie d’âge apparue en 2000 dans les statistiques...
    L'emprise des géants de l'industrie pharmaceutique est manifeste, qui est censée apporter des réponses thérapeutiques de plus en plus fines et adéquates selon un leurre scientistes peu dénoncé.
       C'est peu dire que la psychiatrie française va mal depuis le virage pris depuis quelques dizaines d'années, suivant ce modèle discutable.
  Sa crise s'aggrave.
      Comme le dit Philipe Petit, qui critique les tendances néo-scientistes de la psychiatrie d'aujourd'hui Il est impératif de juger de la société à la façon dont elle traite ses fous, ses handicapés, ses déviants, ses fatigués de la vie. Et par conséquent aussi à la façon dont on considère les bien-portants, fussent-ils les victimes indirectes de ce lavage de cerveau, et de cette hécatombe morale.
     Les dérives  positivistes et médicamenteuses  s'accentuent: l’industrie pharmaceutique est devenue experte en désinformation : elle dissimulerait les résultats négatifs, sélectionnerait les résultats favorables, et orchestrerait de coûteuses campagnes de publicité pour promouvoir les études qui vont dans le sens de leurs intérêts, c’est-à-dire celles qui attribuent quelques propriétés curatives aux médicaments qu’elle commercialise.
        Télérama consacre un dossier spécial sur le problème:
- Concernant notamment les dérives de l'internement psychiatrique, surtout depuis les mesures Sarkozy.
- Les problèmes concernant l'internement d'office, la question des soins sans consentement se posent toujours.
     Aujourd'hui, en France, environ 400 000 personnes sont hospitalisées chaque année dans un service public de psychiatrie, dont 92 000 sous contrainte, c'est-à-dire sur demande d'un tiers ou sur ordre d'un représentant de l'Etat. A partir des années 1990, le nombre de patients subissant des soins psychiatriques sans consentement n'a cessé d'augmenter, avec un fort coup d'accélérateur depuis 2011, « ce qui constitue un véritable scandale, dans un pays qui s'enorgueillit d'être la patrie des droits de l'homme », s'indigne le psychiatre Thierry Najman, auteur du livre Lieu d'asile. Manifeste pour une autre psychiatrie (1) . « La France est même le pays d'Europe qui a été le plus condamné par la Commission européenne des droits de l'homme pour des abus psychiatriques », souligne-t-il, tout en déplorant le « grave déclin de la réflexion sur la pratique des soins » dans notre pays. Le Dr Najman incrimine principalement la loi du 5 juillet 2011, « sécuritaire et liberticide », votée sous le quinquennat Sarkozy...
      Par rapport aux orientations de la psychiatrie italienne, par exmple, et notamment les expériences menées  a Trieste, nous avons fait un bond en arrière, par souci d'économie à courte vue et de méconnaissance de plus en plus grande de la complexité du monde des désordres mentaux, la relation humaine et le souci de  réinsertion devenant presque secondaires. Un système devenu opaque.
     Un état toujours inquiétant...qui nécessiterait une urgente refonte, notamment après les recommandations du Sénat.
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(*)"....Devant la réalité de la souffrance psychique — l’une des plus importantes pathologies modernes — s’est mise en place, depuis quelques décennies, une machinerie diagnostique inédite, qui a pour objectif de rentabiliser cet énorme marché potentiel. Pour ce faire, il fallait en priorité remplacer la grande psychiatrie européenne, qui, grâce à des observations cliniques multiples et concordantes rassemblées durant les deux derniers siècles, avait répertorié les symptômes et les avait classés en trois catégories : les névroses, les psychoses et les perversions. Armé de ces connaissances, le clinicien de terrain pouvait établir un diagnostic et distinguer les cas graves de ceux qui étaient causés par des circonstances passagères. Il départageait alors ce qui demandait l’aide de médicaments de ce qui pouvait trouver une meilleure solution grâce à des entretiens.
     Psychiatrie classique et psychanalyse étaient arrivées aux mêmes constats. Ces deux approches bien distinctes se sont ainsi corroborées et enrichies mutuellement. Le marché du médicament gardait alors des proportions raisonnables, ce qui a dû faire réfléchir « Big Pharma » — un surnom approprié à l’énorme puissance des laboratoires pharmaceutiques, qui font une cour assidue tant aux médecins de quartier qu’aux plus hautes instances de l’État et des services de santé, avec lesquelles ils savent se montrer plutôt généreux (par exemple en offrant des croisières de « formation » aux jeunes psychiatres).
    L’entreprise de conquête de ce grand marché a commencé aux États-Unis, avec l’Association américaine de psychiatrie (APA) et son premier Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, ou DSM), en 1952 . En 1994, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) aligne le chapitre « psychiatrie » de la classification internationale des maladies sur les nomenclatures du DSM-IV, ce qui conduit de nombreux pays à en faire autant. Il s’est ensuivi une inflation des pathologies (...)
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